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Vous reprendrez bien une petite relance du nucléaire ?

Des petites nouvelles de quelques une de nos activités anti-nucléaires cette année …

L’appel des scientifiques contre le nouveau programme nucléaire

« Le 11 Février 1975 dans les colonnes du Monde, 400 scientifiques invitaient la population française à refuser l’installation des centrales nucléaires « tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences ». Rappelant le caractère potentiellement effroyable d’un accident nucléaire, ils constataient que « le problème des déchets est traité avec légèreté », et que : « systématiquement, on minimise les risques, on cache les conséquences possibles, on rassure ». »

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Car aujourd’hui face au mépris démocratique historique de l’Etat nucléaire il est plus qu’urgent de réaffirmer, même symboliquement, l’importance (et l’existence!) d’une science critique vis-à-vis des décisions politiques et des directions industrielles.

 


Et sinon, on a un peu rigolé cet hiver en se rendant au débat public sur la construction des nouveaux EPR2 (alors que le plan était déjà annoncé par Macron et que la loi d’accélération passait au Sénat en janvier, que la PPE était révisée par le gouvernement avant même la fin du débat) et on a écrit une tribune pour la revue du Réseau Sortir du Nucléaire. La voici :

La technocratie, c’est fini !

Chapô

Les Désert’heureuses, c’est un collectif de personnes qui ont suivi des cursus d’études d’ingénieur, puis ont décidé de déserter les professions de l’industrie, motivé.e.s par le refus de participer à la gabegie techno-solutionniste et l’envie de prendre du recul pour mieux trouver les moyens de démanteler les systèmes industriels ravageurs. Dans ce texte, deux membres du collectif investis dans la lutte anti-nucléaire livrent leur analyse de la politique nucléariste de la France, comme partie intégrante du projet de transition énergétique industriel. S’adressant aux militants antinucléaires comme aux jeunes ingénieur.e.s séduits par le discours pro-nucléaire au nom du climat, une question se pose : ne serait-il pas temps de changer de focale sur les questions énergétiques ?

 

Article

Commençons par préciser que les personnes qui ont écrit cet article ne sont pas nécessairement issu.e.s de filières nucléaires et ne parlent donc pas d’une position d’expertise technique : nous désirons justement participer à sortir les débats énergétiques des cercles « d’experts » qui en ont fait leur chasse gardée. La problématique du nucléaire (et des infrastructures de l’énergie au sens large) apparaît comme un sujet inévitable dans notre démarche. La construction et le renforcement de l’État nucléaire Français par les élites technocratiques nous semble être un des verrous les plus importants à la possibilité d’impulsion des changements profonds de nos sociétés que l’on admet largement être aujourd’hui indispensables au regard des urgences sociales, écologiques, climatiques.

Tant par l’immense complexité de ses chaînes de valeur (extraction, enrichissement, traitement, retraitement, stockage des déchets, gestion des armes nucléaires, démantèlements des centrales en fin de vie) que par son inétanchable soif de nouveaux cerveaux techniciens, si possible formatés pour accompagner avec enthousiasme la « rayonnante » épopée de l’Atome français, le nucléaire s’incarne surtout comme un mode de gouvernance. Il est technocratique par essence et donne aux experts un pouvoir politique qui dépasse les murs de leurs bureaux d’études. Il légitime également un pouvoir centralisé fort qui veut se rendre indispensable pour ces enjeux sécuritaires et s’oppose à la possibilité de l’autodétermination des peuples occidentaux et post-colonisés.

C’est avec circonspection que nous avons écouté les annonces du gouvernement sur l’imminence de la relance du nucléaire. Depuis les années 1960 et les centrales graphite gaz, aucun réacteur électronucléaire de conception française n’a abouti à une production commerciale. Lessivée par des décennies de perte de compétence par une sous-traitance à outrance, des projets industriels non-concrétisés et une filière de formation insuffisante, il nous semblerait que les « fleurons français » n’auront pas les ressources humaines pour réaliser des réacteurs dans un délai compatible avec les enjeux auxquels ils prétendent répondre.

À la suite des réacteurs américains Westinghouse du siècle dernier et vu la menée des chantiers EPR en Europe et en Chine, si EPR2 il y avait, on peut se demander si ce sont bien des ingénieurs européens qui les réaliseraient. Lorsque l’on lit dans les rapports RTE « Futurs énergétique 2050 » qu’une des propositions de la filière nucléaire est de construire 14 EPR2 entre 2035 et 2050, tout en prolongeant la durée de vie des réacteurs de deuxième génération à 60 ans voire plus, alors que « la réussite de cette entreprise ne peut pas être considérée comme acquise à priori », on se demande jusqu’où peut aller cette politique de l’absurdité. Et Macron de brandir fièrement l’étendard de l’excellence et de la souveraineté industrielle française dans son discours de Belfort en 2022.

Malgré ces constats et la longue liste des coûts et des risques imposés l’industrie nucléaire, on observe aujourd’hui un regain d’intérêt pour les formations du nucléaire en école d’ingénieur. La question climatique a fini par gagner les bancs des lieux de reproduction des élites Françaises : il nous faut agir pour le climat, et vite ! On essaye alors de comprendre en buvant les paroles d’un Jean-Marc Jancovici qui assène avec certitude que la seule solution entre nos mains est de décarboner en misant sur le nucléaire, une énergie verte, sans risques et aux coûts minimaux. Alors que lui-même capitalise sur le bilan carbone qu’il a développé pour le vendre aux entreprises, que les experts ne cessent de démentir ses affirmations, que la production d’énergie nucléaire est l’antinomie de toute possibilité de sobriété énergétique.

Mais que l’on soit écolo pro-nucléaire de la génération Janco, ou militant anti-nucléaire de longue date prônant le développement des énergies renouvelables comme alternative, on se fait mener en bateau par deux facettes de la même supercherie. La relance du nucléaire, tout comme toute autre infrastructure énergétique, doit se questionner dans le cadre actuel du projet gouvernemental et industriel de transition dite écologique. C’est à dire : prétendre réduire les consommations d’énergie et lutter contre le réchauffement tout en augmentant la quantité nette globale d’énergie injectée dans l’économie afin de maintenir l’illusion des bienfaits de la croissance économique. Éolien, solaire, nucléaire, hydrogène, biogaz, véhicules électriques, réseaux intelligents, technologies de stockage et de flexibilité, peu importe, l’important c’est d’en mettre plein les yeux pour invisibiliser le projet de société sous-jacent : celui d’un monde en expansion dans lequel les puissances industrielles gardent la main sur les moyens de production et continuent d’entretenir les ravages d’un extractivisme global et colonial.

La place qu’occupent les ingénieurs dans ce projet de société nous paraît évidente : développer les dites technologies de la transition énergétique, optimiser le fonctionnement de la société industrielle, nous verrouiller de plus en plus dans la fuite en avant. Et quand bien même l’Europe réussissait son pari de la décarbonation à grand renfort de nouvelles technologies, les géants des énergies fossiles comme TotalEnergies continuent d’extraire la moindre goutte de pétrole tout en se verdissant grâce au biogaz et à l’hydrogène.

Le grand défi du XXIe siècle à relever n’est pas d’ordre technologique ou financier. Il n’est pas celui de la réindustrialisation, de la relance des économies ou de la transition énergétique, ni celui du transfert des investissements des énergies fossiles vers les énergies « vertes ». Il est celui du démantèlement de l’état nucléaire Français, des multinationales des énergies fossiles et des marchés financiers mondiaux de l’énergie, des systèmes d’oppressions et des chaînes de valeur globales qui les maintiennent.

Alors que vous choisissiez de déserter ou bien d’agir de l’intérieur, à bon entendeur, à bonne entendeuse…